Centre de docs consacré aux addictions

Marmottan menacé.. Didier Jayle lobotomise la mémoire du plus ancien centre documentation consacré aux addictions
Proposé par TQa, lundi 13 février 2006 à 02:00 :: JEUX HASARD et ARGENT :: #1012 :: rss

La drogue et le sens -La clinique des addictions, avant les données des recherches scientifiques et des enquêtes épidémiologiques, devrait être le cœur de la réflexion sur les toxicomanies, les dépendances, les addictions.

Ces «pathologies» présentent la particularité de se situer à l'évidence au croisement des approches scientifiques «dures» et des approches humaines et intersubjectives. D'un côté, recherches de neurobiologie, de pharmacologie, d'imagerie cérébrale, de génétique… De l'autre approches psychologiques, sociologiques, anthropologiques…

Entre processus et symptôme, entre maladie et style de vie, elles relèvent autant de l'ordre de la culture et de la recherche de sens que de celui de la nature et des mécanismes vitaux.

Les élaborations cliniques issues de la relation entre thérapeutes et patients sont incontournables si l'on veut éviter une oscillation infinie et stérile entre ces deux dimensions de la connaissance.

Marmottan est, depuis 1971, le lieu par excellence d'une confrontation entre toutes les approches les plus diverses de la « toxicomanie », de la « drogue », puis des addictions au sens large.

Et pourtant, le 27 octobre 2005, le docteur Didier Jayle, Président de la Mildt, a décidé de ne plus financer le poste de documentaliste (Toxibase-Marmottan).

Priver Marmottan d'un centre de documentation – Mais enfin, est-ce que des cliniciens ont besoin de penser ?- revient à nier la place de la clinique dans ces domaines, à exclure des débats la parole des soignants et des patients, et donc courir le risque de construire des «toxicomanes» et des «drogues» coupés de toute réalité subjective.

C'est, pensons nous, le vœu inconscient des décideurs : choisir, arbitrairement, des objets de crainte pour le grand public, afin de jouer de l'impact médiatique du sentiment d'insécurité.

La «drogue» a toujours eu cette fonction de bouc émissaire, finalement rassurante: ne mettons pas en question nos habitudes de pensée et de consommation, combattons celles des autres, et tant pis si les consensus se font au prix de la persécution des toxicomanes et des marginaux.

La mise en avant des dangers du cannabis, depuis le dernier plan de la M.I.L.D.T, relève en partie de cette logique, comme la mise en veilleuse de la lutte contre l'alcoolisme, ou le refus de prendre en compte le jeu pathologique.

A simple titre d'exemple, notons que l'enquête S.A.M, remarquable par son ampleur et sa rigueur, n'a pas eu tout le retentissement qu'elle méritait : les résultats n'étaient pas assez conformes à ce qu'attendaient nos décideurs, puisqu'elle démontre que le cannabis est certes dangereux au volant, mais moins que l'alcool à doses légales (entre 0 et 0,5 g/l).

Mais il faut continuer à diaboliser la «drogue», et simplement modérer les discours passerait pour du laxisme et du manque d'autorité…

Des opérations comme «Drog-land», prétendument préventives, n'ont sans doute comme objectif réel que de maintenir ce mythe de la drogue dangereuse et toute puissante, et de ne pas aborder des sujets qui fâchent, comme l'alcool, le jeu, ou la misère des banlieues.

Autre exemple: lorsque, dans un train, des voyous agressent des voyageurs, personne ne parle du rôle de l'alcool. Pourtant, il s'agissait d'un train destiné à ramener des fêtards d'un réveillon de nouvel an… Quels titres auraient fait les journaux si le même train avait servi à ramener les participants à une rave party, ou à un congrès clandestin de fumeurs de joints?

La clinique, la rencontre permanente avec les patients, est donc nécessairement subversive car elle vient régulièrement casser les représentations que nous nous faisons de la «drogue» et des dépendances. Cet inconfort est nécessaire, pour ne pas se laisser bercer par des préjugés et des représentations sociales.

Sans elle, données de la science et statistiques sont manipulables à volonté, et faciles à instrumentaliser pour faire et défaire les peurs et les insécurités…

Nous voulons continuer à participer aux débats sur les drogues et les dépendances. Nous voulons continuer à accéder aux données nationales et internationales. Nous voulons que les réalités vécues par nos patients ne restent pas sans écho.

C'est pourquoi nous pensons que la décision de priver Marmottan de son pôle documentaire est à la fois pleine de sens, et lourde de conséquences.

Marc Valleur
SOURCE: Site de l'hopital Marmottan

http://www.toxicoquebec.com/actus/index.php?2006/02/13/1012-marmottan-menace-la-mildt-lobotomise-la-memoire-du-plus-ancien-centre-documentation-consacre-aux-addictions